Une Chambre Bien à Elles

Le cerveau des femmes est-il le même que celui des hommes ? Peuvent-elles absorber les informations de la même manière, à travers les cours magistraux et les essais ? Ont-elles la puissance intellectuelle nécessaire pour être ici ? 

— Dr Lucy Delap sur les préjugés entourant les premières étudiantes de Cambridge.

Effigy of a women undergraduate during campaigning for equal rights in 1897.png

L'université de Cambridge n'a pas accordé de diplômes aux femmes avant la fin des années 1940 et a été la dernière université britannique à le faire.  

Il existe une vieille librairie d'occasion, la "Haunted Bookshop", située dans une ruelle lugubre non loin du King's College à Cambridge. Certains prétendent qu'ils peuvent parfois y sentir un parfum de lavande, l'odeur d'une dame d’antan, flottant entre les étagères usées qui plient sous le poids des livres pour enfants et des photographies anciennes. J'étais au premier étage un jour quand je suis tombée sur une photo intitulée : "Effigie d'une étudiante en licence pendant la campagne contre l'accès des femmes à l’Université de Cambridge, en 1897" ; effigie crée par des étudiants révoltés par cette idée. Les femmes ont perdu leur combat cette année-là. Enseignant à l'université de Cambridge, cela m'a d’autant plus intéressée. J'ai commencé à faire des recherches sur les batailles endurées par ces femmes et ces hommes déterminés à ce que les étudiantes accèdent elles aussi aux bancs de l'université.

J'ai décidé d'écrire un thriller pour en parler.

(c) MG Lea

(c) MG Lea

Extrait - Chapitre 1

La folie du plus fort

Peut-être défaisaient-ils l’Amour pour le plaisir de le refaire. Les querelles, les déceptions, succédaient à leurs caresses. Ce rituel, bruyant jadis, sans avoir perdu de son intensité, avait égaré sa rage ; c’est sans mot dire qu’elle s’endormait dans le lit soudain trop grand et qu’il s’allongeait, là, sur le sofa, où le sommeil le bouderait à son tour encore quelques heures.

— Alec, tu n’oublieras pas ? l’avait-elle supplié au petit matin, sur le pas de la porte ; son visage tendu surgissait d’un long manteau de laine.

— Je ne t’oublierai pas, avait-il marmonné.
Les cloches de l’église Saint Andrew’s venaient de sonner 6 heures.

— Non, Georgina, elle...tu ne l’oublieras pas ? insista Mary.

— Ma chérie... comme si les Morts nous donnaient vraiment le choix ! Ils s’agrippent à notre mémoire... après tout, qu’est-ce qu’il leur reste bien d’autre à faire ?

Cambridge frissonnait sous la neige que la nuit maquillait d’une étrange noirceur. En contre-bas, quelques réverbères incisaient, çà et là, les ombres emmitouflées des passants. Quitte à se rompre le cou, Christophe avait rejoint le Professeur Alec Leedham sur le toit de la chapelle surplombant le College de St John. Il avait bien trouvé l’échelle qui montait le long du mur intérieur de la sacristie jusque dans les confins de gargouilles et d’étoiles. Pendant toute l’ascension, il se demandait s’il n’avait pas rêvé. Pourquoi Leedham, Professeur émérite en Anthropologie à Cambridge et qui s’était opposé à sa candidature, lui donnait-il rendez-vous ? Et sur un toit ! Arrivé au sommet de la tour, il observa un instant la danse nonchalante des flocons qui, lourds de nuit et de blancheur, estompaient peu à peu la moindre façade de l'horizon. Seules les cimes des Colleges, qui composaient l’université, perçaient ce linceul ondoyant comme les mâts de formidables bateaux fantômes.

— Monsieur d’Armencourt...vous souvenez-vous de cet...hum...incident, peu de temps avant Noël ? demanda sans attendre Leedham.

Il ne tourna même pas la tête. Debout près d’une corniche, il remonta le col de sa veste, enfilée sur une chemise de lin pâle. Seul son menton pointu dépassait sous son panama.

— Un incident ? bafouilla Christophe.
Il s’approcha à pas prudents. La tôle enneigée glissait sous ses bottes.
— Je me souviens... je me souviens du crime... si c’est de cela dont vous voulez parlez... fit-il.
Après presque deux ans passés à Cambridge, le jeune français ne s’était pas encore habitué aux euphémismes anglo-saxons.
— Exactement ! hurla le Professeur en se retournant. Du crime ! Du crime irrésolu ! Mais alors Monsieur d’Armencourt... ne trouvez-vous pas tous ces silences...assourdissants ? Il reprit son souffle avant de continuer :

— Que je vous rassure, poursuivit-il, rien de comme ça ne s’est produit à Cambridge depuis...enfin, depuis un certain temps. Pour ce qui relève de meurtres et assassinats en tout genre, je dois avouer, pour une fois, la supériorité incontestable d’Oxford, ajouta-t-il en se raclant la gorge.

Il tira Christophe vers lui d’une main ferme par la manche du manteau.
— Souvenez-vous de Georgina Edwards....empoisonnée, la poitrine recouverte de cailloux, les mains attachées, traînée en chemise de nuit derrière le portail de notre college, de St John’s ! Sans oublier la poupée macabre à ses côtés ! Vous vous souvenez de la poupée, j’espère !

— Bien sûr, Professeur. Oui, c’est dommage, c’est bien dommage, murmura Christophe sur le qui-vive.

Leedham lâcha son emprise. Il invita son visiteur à s’asseoir sur la tôle humide. Christophe, empâté par différentes strates de lainage et un manteau trois-quarts, s’exécuta avec un manque évident d’enthousiasme et de souplesse. Le Professeur regardait à nouveau devant lui, vers le vide qui creusait la nuit à leurs pieds :

— Georgina Edwards était en troisième année à Newnham College, brillante, paraît-il, ou du moins ainsi va la rumeur. Quand la rumeur frôle la mort elle tourne parfois en caresse.

Leedham observait Christophe. Tout en ce Français lui déplaisait : sa carrure musclée mais épaisse, ses boucles brunes mal contenues dans un élastique et surtout cette maudite nonchalance que Christophe promenait comme d’autres promènent un chien un peu trop court sur pattes : sans jamais se presser. De plus, son accent français, encore prononcé, empâtait chaque syllabe, alourdissait tout son qui aurait dû s’envoler.

Leedham reprit :
— Miss Georgina Edwards aurait grandi à York, une enfance pleine de citrouilles à

Halloween, de feux d’artifice la nuit de Guy Fawkes, de sucres d’orge dans les chaussettes à Noël...enfin....il ne faut sans doute pas croire un mot de tout ça, mais ce sont les informations rabâchées par les médias. Georgina serait arrivée à Cambridge il y a deux ans et demi de cela et aurait fini ici, derrière St John’s !

— Vous craignez que notre College soit impliqué... je comprends, fit Christophe sur ses gardes.

Ses collègues l’avaient averti. Le crime avait, dès le début, perturbé le Professeur plus que de raison. Pourtant, au fil des jours, ses obsessions semblaient s’être comme effilochées. Qui ou quoi avait donc attisé ses anciennes certitudes ?

— Impliqué ? Mais notre College est bien évidemment impliqué ! ragea le Professeur en tapant du poing sur la tôle. Ce corps grimé est bien plus qu'un corps, c'est un message, Monsieur d’Armencourt ! Un message qui nous est adressé !

Quelques éclats de pierre, rebondirent avant de tomber dans le vide. Christophe ne savait trop que penser. Son contrat de trois ans à l’Université, décroché malgré Leedham, touchait bientôt à sa fin ; il espérait bien pourtant le renouveler. Ne pas abonder dans le sens...la folie du professeur risquait de précipiter son départ. Un autre départ, une autre déchirure. C’est à peine s’il remarquerait la douleur maintenant. Mais il n’était pas prêt à revenir ; revenir là-bas, frôler à nouveau ses cicatrices, être étranger dans son propre pays. Il repensa alors à un article, l’interview de l’inspecteur chargé de l’affaire.

— Donnez donc le temps à la police ... osa-t-il enfin articuler. Leedham l’interrompit.

— Le dossier est fermé.

Leedham tira un tube de pastilles à la menthe du fond de sa poche.
— Comment le savez-vous ? L’enquête vient à peine de commencer, rétorqua Christophe incrédule.
— Je le sais, c’est tout, fit le Professeur en gobant une pastille à la menthe.
— Mais souvenez-vous, dans son article, l’inspecteur chargé de l’enquête stipulait qu’il mettait un point d’honneur à retrouver le coupable... s’exclama Christophe.
Il alla s’adosser contre la porte de basse qui éventrait la toiture. Le souffle soudain plus court, Leedham le rejoignit. Malgré la fine nappe de neige, il laissa glisser son dos contre la porte jusqu’à terre, croisa ses mains moites sur son chino avant de poursuivre :
— Oui et je peux vous assurer que l’inspecteur Parker était sincère... Quitte à sacrifier plus qu’il ne le voudrait sur son chemin.
— J’avoue que je ne comprends pas : l’enquête est-elle close oui ou non ?
— Disons que les prochains indices, jusqu’au nom du coupable, ne feront sans doute pas la une de votre journal, quel qu’il soit, susurra le Professeur. L’avez-vous remarqué Monsieur d’Armencourt ? L’Université de Cambridge et la ville, Cambridge, possèdent deux cœurs bien séparés. Les affaires de l’Université doivent, autant que possible, être traitées au sein de l’Université... et c’est d’autant plus vrai quand un cadavre s’en mêle.

Il s’arrêta une seconde avant de reprendre :
— Ce que je vais vous dire, vous ne devez en toucher mot à personne. J’ai beaucoup hésité avant de demander à vous voir... mais vous seul pouvez m'aider... sans éveiller trop de soupçons. Le visage de Christophe prit alors une expression qui intrigua Leedham : son regard vert clair s’assombrit, l’ironie déserta sa bouche. Leedham aperçut l’homme à l’état brut et il ne lui déplut pas. Pas complètement.
— Mais l’inspecteur Parker... persista Christophe, gêné par la confidence.
— L’inspecteur me l’a confirmé : la police a reçu l’ordre de fermer le dossier. Enfin, précisa

Leedham, le ton aigre, ce n’était pas exactement un ordre... mais on lui a fait comprendre que cette enquête ne mènerait à rien.

— « On ? » Professeur ? demanda Christophe intrigué. Qui ça « on » ?
— Si je le savais je ne serais sans doute pas ici avec vous, répondit Leedham agacé.
— Et c’est l’inspecteur qui vous a prié de mener une enquête officieuse ?
Christophe essaya de masquer son scepticisme. Leedham attrapa son sac à dos dans la neige.

Il en extirpa une flasque de thé chaud et deux tasses en plastique. — Thé ? fit-il.

Sans attendre la réponse, il tendit le liquide ambré à Christophe qui s’empressa de lover la tasse entre ses doigts gelés. La première gorgée le crucifia sur place.

— J’y ai peut-être ajouté un peu plus de whiskey que d’habitude reconnut le Professeur en reposant sa tasse sur ses genoux... Plus...mais pas assez... Quand je parle de l’inspecteur Parker...il me faut parfois quelque chose d’un peu plus fort qu’un Earl Grey, dit Leedham de plus en plus agité.

— Vous le connaissez donc bien... en conclut Christophe .

— Je connais jusqu’au nom de son parfum, avoua Leedham.
Christophe le regarda, stupéfait et prit une deuxième gorgée. Le Professur continua :

— L’Inspecteur Mary Parker était, jusqu’à il y a trois ans, ma femme.
Christophe se rappela alors quelques bruits de couloir. Mary Parker aurait trompé Leedham avec un collègue. Elle l’aurait quitté par la suite, sans prendre même la peine de garder son amant. Christophe décida de ne pas poser de questions, peut-être parce que le Professeur semblait soudain plus oppressé sous sa veste cintrée.

— Je ne l’avais pas vue depuis le début de l’enquête. Elle avait même fait de son mieux pour me donner le moins d’informations possible. Mais, contre toute attente, Mary est venue me trouver à St John’s hier. Elle était plutôt à cran sur ses talons hauts.

Leedham dût soudain reprendre son souffle avant de continuer, comme si tout à tout coup, l’infinité du ciel, là, à portée de main, l’écrasait de son trop lourd couvercle. Il continua :

— Monsieur d’Armencourt, savez-vous quel bruit fait la vérité quand une ombre l’étouffe ? Non ? Et bien elle ne fait souvent pas plus de bruit qu’un papillon quand on l’écrase. Et c’est exactement cela qu’un ou deux marionnettistes en chef venaient d’ordonner à Mary...d’oublier l’affaire Georgina Edwards...

— D’oublier tout ? Son corps grimé, St John’s... la poupée macabre à ses côtés ? murmura Christophe.

Il posa soudain un regard désenchanté sur l’horizon de tuiles et de tourelles. — Exactement !

Quelle sorte de femme, aussi ex soit-elle, avait choisi de raviver les obsessions du Professeur? Pensa Christophe un instant. Mais, soudain intrigué, il demanda :

— Mary vous a-t-elle demandé de faire quelque chose ? Quelque chose de spécifique ? Lentement le breuvage lui enflammait le corps, prêtant comme un peu d’été à l’hiver.

— Prié ! s’exclama-t-il avec un méchant rictus. Mary m’a prié d’enquêter en secret au sein de l’université ! répondit Leedham, sur un ton sec. J’entends encore mes collègues me répéter, comme des instits dans une cour de récrée, que l’assassin n’avait pas fait exprès de déposer le corps de Georgina à St John’s.... J’ai dû supporter leurs maudites mines compatissantes pendant des semaines dès que j’abordais le sujet et... juste au moment où je commençais presque à les croire, tout-à-coup, Mary revient pour me persuader du contraire...! "La raison est la folie du plus fort"... n'est-ce pas Monsieur d'Armencourt?

"La raison est la folie du plus fort..." Ces mots résonnèrent en de lugubres échos dans la tête de Christophe. Peut-être était-ce exactement ce qu'il aurait dû murmurer à Ana-Lou avant que sa paranoïa ne la ronge, avant que la porte de la clinique ne se ferme derrière elle et qu'il la perde. À jamais sans doute. Il sursauta, comme s’il remontait à la surface d’une eau trouble. Il tendit sa tasse vide à Leedham qui la remplit à ras bord.

— Mais Mary me cache encore quelque chose, marmonna le Professeur en rebouchant la flasque. Car, voyez-vous, ce que je ne comprends pas, c’est que ce n’est pas la première fois...

— La première fois que quoi ? demanda Christophe.

— Que Mary a reçu l’ordre de clore un dossier avant même de l’ouvrir. Elle obéit d’habitude sans sourciller mais cette fois...l’identité de l’assassin semble la ronger à son tour. Et je me demande bien pourquoi. Oui... pourquoi ? Hein ? Pourquoi, hurla Leedham.

Sa tasse se renversa dans la neige.
— Christophe, continua Leedham, j’aurais besoin...de vos yeux.

— Mes yeux ? répéta Christophe réticent. Vous avez besoin de mes yeux ?
— De votre regard...votre regard est un scalpel, fin et tranchant. J’aurais besoin de sa lame, fit le Professeur.
Le jeune français ne trouva rien à répondre, surpris par ce qui, venant de l’anthropologue, ressemblait à un compliment. Il essuya quelques flocons qui déjà s’accumulaient sur ses manches.

— Plus près du Monde... murmura le Professeur en se levant d’un bond. Plus près de ce triste Monde...

Il s’approcha si près de la gouttière que Christophe arrêta un instant de respirer. Le Professeur pencha sa tête en direction la rue.

— Etudiant, je connaissais chacune de ses corniches, le grain de toutes de ces gargouilles sous mes doigts...je caressais avec volupté leurs grimaces. Nous étions plusieurs étudiants à grimper la nuit d’un toit à l’autre...à défier la mort, je suppose... Puis... j’ai voulu comprendre ce qui motivait les aller-venues de ces petits points sans cesse en mouvement tout en bas. Je me suis rapproché du Monde. J’ai eu l’audace d’expliquer pourquoi et comment ces petits points couraient, croyaient à tel ou tel commencement du Monde, se déchiraient, s’aimaient parfois aussi, brûlaient cierges et encens avant de s’éteindre à leur tour... Mais suivez-moi, plutôt...

Malgré ses cinquante-deux ans, Leedham avait gardé l’énergie du champion de boxe et d’aviron qu’il avait été au cours de ses années d’étudiants. Il marchait maintenant le long de la corniche. Christophe, toujours empêtré dans son manteau, se hissa avec moins de grâce que son aîné ; il le rattrapa. Ou presque.

— Mais je ne suis plus aussi libre...continua Leedham. Vos collègues ... nos collègues vous l’auront sans doute déjà dit...

C’est vrai qu’ils n’avaient pas été avares de détails. Depuis son divorce, il y a trois ans, Leedham avait mis peu à peu sa valise au placard ; sa valise, ses ambitions et ses terrains de recherche. De force, il avait tourné le dos au peuple des hautes altitudes du Tibet et de l’Himalaya, ignoré l’appel de leurs croyances pour ne jamais y retourner. Une peur de nouvelles situations, des huis-clos, de l’autre, rampait dans la tête du Professeur et le saisissait parfois à la gorge jusqu’à lui couper le souffle.

— Je suis le prisonnier...je suis le geôlier. Certains lieux me sont inaccessibles. Or...j’ai besoin de voir des lieux où Georgina évoluait...

— Mais, au juste, pourquoi moi ? demanda Christophe avec réticence. Angela, par exemple, que vous connaissez mieux...

Angela Walker, experte en Anthropologie de la religion, avait sans doute dû brûler un nombre incalculable de cierges dans l'espoir d'attirer l'attention du Professeur. Leedham avait toujours eu un charme bourru qui plaisait à bien des femmes.

— Angela ne peut pas être impliquée, fit abruptement le Professeur, en tirant sur son écharpe. — Serait-ce par courtoisie ? se risqua Christophe.
— Miss Walker n’éveille en moi aucun de ces élans qui me poussent à tenir la porte aux dames et donc, à fortiori, de les éloigner d’un quelconque danger. Bien sûr, cela n’a rien à voir avec sa moustache.

Christophe ne savait pas si, contre toute attente, Leedham venait de faire un brin d’humour. Le Professeur continua :

— Vous aimez le théâtre, Monsieur d’Armencourt ? enchaîna le Professeur en entrebâillant la porte.

Il enfila son sac à dos.
— J’en ai même fait pas mal à Toulouse... je pensais d’ailleurs m’y remettre...
La neige redoublait sur ses épaules. Mais déjà Leedham avait posé ses pieds sur le premier barreau de l’échelle.
— Alors peut-être devriez-vous aller voir un peu à l’A.D.C. Le plus vieux théâtre universitaire de toute l’Angleterre...il fourmille de fantômes et de jeunes talents, répondit Leedham. Ils montent « Cabaret » en ce moment, ajouta-t-il... Souvenez-vous, la comédie musicale, Liza Minelli...

Mais déjà ses bottes résonnaient sur les barreaux métalliques tandis qu’ils descendaient dans les entrailles de la tour à peine éclairée par une maigre ampoule. L’air humide lui sauta au visage. Christophe dût déboutonner son manteau trois-quarts pour le suivre.

— Oui, oui, un cabaret ... Berlin dans les années trente, une histoire d'amour, fit le jeune homme d'une voix distante.

Il se revoyait écouter ce disque, heureux, la tête appuyée contre la poitrine chaude d'Ana- Lou. Avant.

— Pourquoi l’A.D.C Professeur ? cria-t-il.
Sa question rebondit sur les parois de pierre.
— Georgina Edwards y passait pas mal de temps. En bas résille, paraît-il. Disons que je me demande quel rôle elle y jouait vraiment... Vous y rencontrerez son petit copain, un certain Pip. — Ah.. bon...oui, bien sûr, Professeur... dit Christophe qui, à bout de souffle, ne l'écoutait déjà plus que d'une oreille.
Les bottes du Professeur claquèrent enfin sur les dalles de la chapelle. Christophe le rejoignit au pied du Crucifix frôlé par les reflets ambrés de cierges. La porte de la sacristie, tout au fond de la nef, était encore ouverte.

— Dans tous les cas, Monsieur d’Armencourt, n’oubliez pas que nous sommes à Cambridge...tous nos suspects seront particulièrement intelligents... mais aucun d’eux n’est aussi brillant qu’il le pense...

Leedham ferma la porte de la sacristie derrière eux avant de tourner les talons.

Christophe regarda sa silhouette se fondre dans de nouvelles bourrasques de neige. Il jeta un coup d’œil à sa montre : 19.00. Son estomac, encore à l’heure française, lui suggérait qu’un petit repas ne serait pas de trop. Un petit repas et un petit Chablis. Peut-être cela suffirait-il pour repousser les fantômes du passé et faire face aux démons de demain.